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Mémorandum à l’attention des responsables de l’Eglise catholique du Luxembourg


21 mai 2021 – Vie Naissante (VN) se comprend comme porte-parole des enfants non encore nés, dont la protection depuis le commencement n’est plus assurée dans notre pays, alors qu’elle reste théoriquement un objectif défini dans la législation en vigueur depuis 1978.

Tous les jours des avortements sont légalement pratiqués au Luxembourg. Aucun média ne fait état de tous ces « cris muets ».

Sans condamner les femmes qui dans des situations difficiles font le choix irréversible de supprimer celui ou celle qui pourtant aspire à naître, VN essaie néanmoins de leur épargner ce geste mortel aux suites psychiques et physiques parfois très lourdes à porter. Considérant qu’aucune femme n’avorte « de gaieté de cœur » (S. Veil), elle prône en toute logique le « droit de ne pas avorter ».

Plusieurs pistes se présentent : la prévention, l’information, le conseil, l’aide matérielle, le soutien psychologique, voire juridique ou spirituel.

Quoique la législation et le discours dominant ne semblent plus reconnaître la dignité de l’enfant à naître dès que les « droits sexuels et reproductifs » de la femme sont en cause, VN cherche le dialogue avec les décideurs politiques, les instances éthiques, les services directement concernés, mais aussi avec les communautés religieuses comme autorités morales.

L’Eglise catholique a toujours défendu la cause de la vie naissante. Historiquement VN est issue d’une initiative portée par de hauts responsables ecclésiastiques, notamment les abbés Paul Weber et Aloyse Biel.

La séparation de l’Eglise et de l’Etat devrait rendre l’Eglise parfaitement libre de lever sa voix sur des sujets sociaux, sociétaux et politiques au sens large du terme. Elle ne s’en prive d’ailleurs pas sur bien des sujets.

Depuis les années 1970, la société a évolué dans le sens d’un matérialisme faisant de l’embryon humain un « amas de cellules » parfois même recyclé, d’un féminisme proclamant haut et fort le « droit à l’avortement », de l’eugénisme décrétant qu’une personne trisomique est malheureuse, et plus récemment d’un écologisme pour qui le plancton est plus digne de protection que l’être humain.

Aujourd’hui, toutes les dérives bioéthiques se fondent sur le déni du caractère sacré de l’être humain dès le commencement de sa vie. La digue a cédé.

Comme dans les pays voisins et ailleurs dans le monde, le processus de « libéralisation » est loin d’être terminé. En Allemagne le paragraphe 218 est sur la touche, de même que la consultation psycho-sociale obligatoire. La notion de détresse ou de toute autre indication disparaît. Le délai légal pour l’avortement est poussé toujours plus loin : bientôt 14 semaines en France, 18 en Belgique, 21 aux Pays-Bas, 24 au Royaume-Uni, etc. Il est donc prévisible que le Luxembourg suivra. En France on discute l’interruption médicale de la grossesse pour motif « psycho-social » jusqu’au neuvième mois. Le délai de réflexion est réduit. L’objection de conscience du médecin et du personnel médical est remise en cause (puisque l’avortement est perçu comme un droit, un dû). La tentative de dissuader une femme d’avorter devient un délit. L’IVG est remboursée à 100 %, ce qui n’est pas le cas pour les soins médicaux (par exemple l’échographie) si la femme met l’enfant au monde. Dans l’éducation sexuelle et affective (aux antipodes de la théologie du corps de St Jean-Paul II), l’avortement est présenté aux enfants et aux jeunes comme une solution parfaitement acceptable, voire souhaitable ou même responsable. Les adolescentes n’ont pas besoin d’informer leurs parents si elles avortent.

Dans le discours officiel, la langue est manipulée dans le but à peine caché de déshumaniser l’enfant à naître et de banaliser l’acte mortel. (voir annexe). Tout récemment, même des députés européens exigent que tous les pays membres reconnaissent un « droit fondamental à l’avortement », que la clause de conscience soit supprimée dans l’UE et que les organisations pro-vie soient disqualifiées comme « dangereuses pour la démocratie et contraires aux valeurs de l’UE » (projet de résolution Matic).

Au-delà du fléau de l’avortement, la procréation médicale assistée (à laquelle il est difficile de s’opposer puisque le cas échéant, elle permet à des couples d’avoir leur propre enfant) soulève néanmoins le problème non résolu des embryons surnuméraires. Elle ouvre aussi la voie à toutes sortes de dérives si des tiers donneurs sont en jeu, dont la gestation par autrui, le remplacement du droit de l’enfant (p.ex. à sa mère et à son père) par le droit à l’enfant, la manipulation génétique, l’expérimentation à partir de cellules souches embryonnaires, la marchandisation des organes de fétus avortés, l’utilisation de cellules de fétus avortés pour des médicaments ou des vaccins, l’utérus artificiel, le clonage humain, les chimères homme-animal, avec à l’issue le mirage transhumaniste du « homo deus ».

Dans le cadre de la refonte de la Constitution du Grand-Duché, le « droit de toute personne de fonder une famille » sera la clé légitimant des situations qui ne sont pas dans l’intérêt de l’enfant, non né ou né.

Si vraiment l’Homme est créé à l’image de Dieu son créateur (« homme et femme il les créa »), il n’a pas le droit de disposer de ses frères et sœurs comme bon lui semble.

Hélas, aujourd’hui même les droits de l’Homme, dont précisément le droit à la vie, sont de plus en plus contestés, notamment par ceux qui préfèrent la planète à l’humanité.

Que faire ?

L’action sociale de VN, le vestiaire et l’aide matérielle pour de nombreuses femmes ou familles fonctionnent très bien (voir rapport de l’assemblée générale de VN).

Par contre, VN a très peu de moyens pour atteindre les femmes dans le doute, dans la détresse, alors que le Planning Familial, soutenu à fond par l’Etat, jouit d’une position de monopole, à la fois pour s’occuper de femmes enceintes et pour organiser l’éducation sexuelle et affective (voir Cesas).

Quant à ses prises de position, VN a du mal à les faire passer dans les médias. (En 2018, les médias invités ont ignoré notre Journée pour la Vie).

Comme l’enseignement de l’Eglise coïncide avec la conception qu’a VN sur la valeur et la dignité de l’être humain et sur le rôle des sciences (cf. Instruction « Donum Vitae », 1987/2007), nous restons confiants de pouvoir compter sur elle, à la fois au niveau pastoral (prédication, formation…), et au niveau de prises de position publiques à chaque fois que la dignité de la personne humaine, notamment des plus faibles, est menacée.

Et Dieu sait si l’Eglise a coutume de le faire, soit directement, soit par l’intermédiaire de ses œuvres. Il faut le souligner avec admiration et reconnaissance.

L’Eglise critique ou dénonce les injustices sociales, s’engage pour un accueil généreux des réfugiés ou des personnes marginalisées, soutient les personnes handicapées, s’engage pour la préservation et le respect de l’environnement (écologie, climat, etc.)

Dans ces engagements elle n’est heureusement pas seule. Elle a raison d’encourager et de soutenir les nombreuses initiatives et actions politiques et associatives d’instances spécialisées en la matière, et matériellement susceptibles de faire avancer les choses.

Mais les fidèles et les hommes de bonne volonté attendent l’Eglise également sur le plan anthropologique, sur le domaine qui touche aux grandes questions existentielles et spirituelles. Ils attendent une orientation, un message fort et courageux de l’Eglise sur les questions bioéthiques, sur le début et la fin de la vie, sur les valeurs familiales, sur l’éducation sexuelle et affective qui influe énormément sur les comportements et les mentalités, enfin sur le salut de l’âme.

Car, selon la formule de Paul VI, c’est en humanité que l’Eglise est experte.

Le silence n’inspire ni confiance ni respect. Au contraire, il fait penser soit que l’Eglise consent aux déviances (« qui ne dit mot consent »), soit qu’elle est résignée, soit qu’elle a peur de se prononcer.

Pie XII a eu de bonnes raisons d’être prudent face au totalitarisme nazi, tout comme le pape François qui ménage le régime chinois pour protéger les catholiques de Chine. Mais nous vivons en régime démocratique, de sorte que ce genre de menace n’existe guère.

Bien sûr, le diocèse d’un petit pays ne dispose pas des compétences scientifiques pour traiter les questions complexes évoquées plus haut. C’est hélas aussi le cas de Vie Naissante.

Toujours est-il que par exemple la conférence épiscopale française a élaboré des prises de position solidement fondées, et sûrement applicables au Luxembourg, le cas échéant. Par ailleurs il existe de nombreuses associations pro-vie (Alliance Vita, European Center for Law and Justice, etc.) dont les recherches, analyses et réflexions pourraient être utilement sollicitées et mises à profit. – Si l’Eglise du Luxembourg veut se prononcer, elle n’aura qu’à s’en servir.

Qu’elle ait donc le courage de le faire suaviter in modo fortiter in re, avec doigté, délicatesse et intelligence. Telle est notre attente, telle est notre espérance.

La crainte de l’échec ou des réactions hostiles n’est pas bonne conseillère. La semence met du temps à porter des fruits.

Avec gratitude pour tout ce que l’Eglise a fait, fait et fera.

André Grosbusch, président
Marie-Josée Frank, vice-présidente